STEP carnet de bord

 

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Lundi 11 juillet 2016 - Tromso
8h00

Nous quittons Tromso et naviguons environ 6h dans le fjord avant de rejoindre la mer de Barentz.

Le temps de s'acclimater à la houle qui augmente progressivement.

Chacun teste le bon fonctionnement de ses appareils, autant sur le bateau que dans les labos.

Après les exercices et consignes de sécurité, l'équipe des scientifiques se réunit pour définir le type de prélèvements qui seront effectués tout du long des 37 stations prévues en fonction des besoins de chaque discipline.

Types de prélèvements :

  • CTD (la rosette), conductivity temperature depth, truffé de capteurs qui mesurent la salinité de l'eau, l'oxygène, un fluorimètre (quantité de chlorophylle), un transmissiomètre (transparence de l'eau), un turbidimètre, et comporte enfin des bouteilles pour réaliser des prélèvements à différentes profondeurs.
  • Multinet : qui sont des filets à planctons, et tout comme le CTD est connecté à un câble éléctroporteur qui permet de contrôler des commandes telles que l'ouverture et la fermeture des filets.
  • le SCAMP et VMP : fonctionne à hautes fréquences et mesure la température et la conductivité de l'eau.
  • le multitube : qui sont 8 tubes en plexi qui descendent tout en douceur pour préserver le + possible l'environnement dans lequel sera fait le prélèvement de sédiments + eau.
  • et enfin, le carottage Kullenberg, carottage à piston, qui est un tube de 15 m de long qui prend moins de précautions que le multitube car plus violent, mais permet d'aller en profondeur.

 

Nous nous dirigeons vers le fjord portant le nom de storfjorden, dont la partie la plus haute est une polynie, région idéale pour mesurer les échanges de gaz à effet de serre.  La mission STEP fait suite à 3 campagnes effectuées sur de plus petits bateaux et initiée en 2009, avec une volonté de suivi pluridisciplinaire et pluriannuel.

 

Mardi 12 juillet 2016 - Corne de brume
17h00

La journée s'étire longuement dans le brouillard, rythmée par le son de la corne de brume.

Nous passons proche de l'île aux ours mais malheureusement la visibilité est mauvaise et donc peu propice aux prises de vue.

C'est une bonne occasion pour réaliser le trombinoscope de l'équipe scientifique et par là-même apprendre les prénoms de chacun, ainsi que leur parcours et spécialisation.

Nous nous sommes ravitaillés en bières et cigarettes, mais aussi sodas, eaux gazeuses et dentifrice.

Une présentation de la mission à l'équipage de l'Atalante a lieu à 18h et est suivie d'un pot.

L'arrivée sur la 1ère station est prévue à 8h30 demain matin. 

Photos d'Olivier Crispi

 

 

Mercredi 13 juillet 2016 - Storfjorden

Arrivée à la première station vers 9h00.

Nous sommes au nord du fjord Storfjorden et apercevons nettement la côte et ses pans enneigés.

Mission: récupérer une ligne de mouillage déposée il y a 3 ans. Elle est repérée grâce au sondeur multifaisceaux.

Si la position exacte a pu aisément être localisée, la manœuvre de récupération a un côté aléatoire. En effet, les batteries n'étaient prévues que pour deux ans, et surtout celles du largueur qui devaient permettre au mouillage de remonter à la surface.

Une ligne de grappins a été immergée dans le fond afin de tenter de l'accrocher, tout en essayant de ne pas endommager les capteurs qui sont dessus.

Après plusieurs bords sur la zone, l'équipage réussi à treuiller tout le mouillage et ses instruments.

Les données sont bien conservées malgré ces trois années sous l'eau.

Nous profitons du spectacle sous quelques rayons de soleil qui font le plus grand bien alors que le vent froid devient plus vif.

Première CTD vers 16h. Les premiers résultats apparaissent sur les écrans du PC Science.

Il s'agit avant tout de tester le bon fonctionnement des différents capteurs, température, salinité, pression, fluorescence. Nous repasserons à cette station sur la route du retour.

Une fois la CTD remontée, un VMP est programmé.

La deuxième station est proche comme toutes les prochaines, et donne le coup de feu de longues journées et nuits sans sommeil.

C'est une station complète où seront utilisés tous les instruments et pratiquées toutes les analyses.

Les abréviations utilisées sont CTD/VMP/N (multinet)/C (multicore) et K (Kullenberg). Elles définissent également l'ordre dans lequel seront réalisées ces opérations.

 

 

Jeudi 14 juillet 2016 - Pierre tombée 

Le quart 00h-4h s'effectue sous un soleil radieux. Nous apercevons un glacier en passant dans la baie Mohnbukta.

Nous réalisons les différentes tâches liées à la station 3;  il y a des protocoles à suivre et à respecter pour chaque opération.

Le multicore remonte des sédiments de surface qui sont divisés en tranches de différentes épaisseurs et mis en sacs ou flacons.

Très liquides en haut de la carotte, les tranches deviennent de plus en plus compactes comme de l'argile vers le bas.

Nous découvrons régulièrement des dropstones, (littéralement « pierre tombée ») qui désigne un bloc isolé de taille variable, abandonné sur les sédiments fins du fond marin ou lacustre par la fonte d'un glacier, d'un iceberg, ou apporté par des bombes volcaniques.

Le prélèvement CTD nécessite également un ordre précis quant aux bouteilles utilisées pour récupérer et conserver l'eau.

Certains prélèvements sont empoisonnés pour éliminer tout organisme vivant, notamment pour les mesures d'oxygène qui seraient faussées sans ce processus.


Un carottage Kullenberg est également effectué. L'imposant tube d'acier détonne lorsqu'il touche le fond à cette faible profondeur d'une centaine de mètres. Nous commençons à découper des tronçons de la carotte puis l'équipe du quart suivant prend la relève.

Le multinet, filet à planctons, nous amène ensuite directement au labo, où l'observation au microscope révèle la présence de cténophores, mais aussi de petites méduses et autres minuscules organismes de la famille des crevettes. Toutes les observations sont consignées et soulèvent de multiples questions quant à la nature du plancton et son évolution.

Nous sommes le 14 juillet. Repas de fête le midi et bourgogne alligoté constitue le petit déjeuner pour ceux qui ont fait le quart de nuit. Les cuisiniers à bord récoltent depuis le début de la mission de nombreux compliments et mercis.

Vers 20h, nous arrivons sur la station n°8 sur laquelle 2 lignes de mouillage vont être larguées. Equipées de plusieurs capteurs, elles enregistreront la pression, la salinité, les courants, la température, le pH, et de précieuses informations sur une durée d'environ 2 ans.

Ligne de mouillage - Photo de Olivier Crispi

 

Vendredi 15 juillet 2016 - alcidés

Journée dans le brouillard tout autour du navire.

Nous apprenons les nouvelles de France, guères réjouissantes.

Malgré la courte durée de la mission, une certaine routine semble s'installer, autant pour l'équipage qui répète sans cesse les manœuvres de treuillage et installation des divers appareils, que pour l'équipe scientifique qui multiplie les prélèvements.

Comme le confirme Hervé, les missions océanographiques sont souvent une succession d'opérations répétées inlassablement chaque jour.

 

Un RAS 500 (Remote Automatic Sampler) a été immergé. Son rôle est de collecter les eaux de mer profondes qui se forment pendant l'hiver, eaux enrichies en saumure. Les contenants de 500 ml déclencheront leur ouverture à intervales pré-programmés.

L'intérêt principal de ce dispositif est de pouvoir rester un an sur le même site et de suivre ainsi un cycle saisonier. Il permettra de confirmer ou infirmer des hypothèses, particulièrement en ce qui concerne la période hivernale.

Le schéma du fjord montre les courants de surface mesurés sur le trajet depuis le début de la mission.

Le barème indiqué de 30cm/s indique que plus la flèche est longue plus le courant est important. On observe ainsi un fort courant côtier avec une circulation du courant anti-horaire.

Tous les résultats enregistrés à bord seront étudiés durant 6 à 12 mois, en tenant compte de tout ce qui a déjà été publié pour/par la communauté scientifique en amont.

Je profite d'un moment proche de la côte pour prendre des photos, tout comme Olivier qui chasse les oiseaux au téléobjectif.

  

Photos d'Olivier Crispi

Nous observons des guillemots de troïl, des macareux et pingouins torda, tous de la famille des alcidés.

Je découvre que ce sont également des espèces présentes en Bretagne : cap Fréhel, archipel des 7 îles et cap sizun pour le guillemot et le pingouin, et quelques macareux en baie de Morlaix et sur l'île de Ouessant.

Je réalise quelques enregistrements afin de créer un montage sonore uniquement constitué de sons collectés à bord.

Il est 21h09 et nous venons d'arriver sur la station n° 16. Au programme : CTD/VMP/N/C/C/K ! (et une complète pour la 16..!)

 

Samedi 16 juillet 2016 - Le monde a sa mémoire 

"Avec son air très naturel
Le surnaturel nous entoure."

Le Jeune Homme du dimanche, Jules Supervielle.

9h27 station 19 nous sommes près des côtes et avons la chance d'apercevoir deux glaciers relativement proches, mais pas assez pour entrer dans l'objectif...

10h30 station 20 - 12h40 station 21

La prochaine station 22 nous verra rester treize heures d'affilée au même endroit, sur une mer d'huile très apaisante.

Il s'agit d’échantillonner un cycle de marée semi diurne. Température et salinité seront mesurées par le SCAMP, en utilisant des hautes fréquences ainsi que le fluorimètre.

SCAMP

Des CTD régulières, moins hautes fréquences mais plus précises s'ajouteront pour confirmer les résultats.

Elles permettent en plus de mesurer le courant.

CTD Rosette - Photos de Bruno Bombled

J'en profite pour descendre dans le monde obscure des labos (photo dark lab) car si j'y vois bien des appareils, des ordinateurs et du monde autour, il m'est bien difficile d'imaginer ce qui s'y passe.

"Le labo des Bruno" (Bruno Lansard et Bruno Bombled) étudie les échanges à l'interface eau/sédiment.

Les sédiments sont en interaction avec l'océan, de nombreux organismes vivants y dégradent la matière organique et donc influencent la chimie de l'océan. Parmi ceux-ci : des vers, des foraminifères et des bactéries en très grand nombre et très diverses. On distingue les bactéries aérobies qui consomment de l'oxygène et produisent du CO2 et les bactéries anaérobies, qui respirent (mais sans oxygène) et consomment des nitrates, oxydes de fer et manganèse, sulfates et méthane... Elles permettent de régénérer des éléments nutritifs.

L'observation des processus bactériens est réalisée avec des microélectrodes (O2 et pH) dont la pointe mesure 0,1 mm.

Dans une seconde partie du labo, une carotte est mise sous un flux d'azote dans une boîte à gants. Le carottier est pré percé et recouvert d'un scotch électrique. On y fait des mesures aux endroits où l'on souhaite effectuer un prélèvement et on y insère des filtres (0,1 micromètre). On branche une seringue sur ces filtres qui aspirent les liquides interstitiels contenus dans le sédiment qui se trouve autour du filtre.

Ces liquides sont répartis dans différents contenant pour les analyses de tout type : alcalinité, DIC, sels nutritifs, ammonium, calcium, sulfates, et isotopes du DIC.

Enfin, une burette automatique permet de mesurer la concentration d'oxygène dissout dans l'eau avec la méthode de référence dite de Winkler et sera comparée avec les valeurs de l'optode, capteur d'oxygène placé sur la rosette (CTD). La mesure sera refaite douze heures plus tard.

 

Photos de Bruno Bombled

La ligne d'horizon et le ciel ne laisse qu'une petite bande dans laquelle sont écrêtées les montagnes avoisinantes.

Gurvan se remémore quelques vers de Supervielle à mes côtés.

"C'est beau d'avoir élu
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un coeur continu,
Et d'avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans un petit jardin,
D'avoir aimé la terre,
La lune et le soleil,
Comme des familiers
Qui n'ont pas leurs pareils,
Et d'avoir confié
Le monde à sa mémoire.."

Hommage à la vie, Jules Supervielle

 

Dimanche 17 juillet 2016 - Percer la brume 

Le dimanche n'est-il pas un bon jour pour se reposer ?

Sûrement pas à bord de l'Atalante, où chaque équipe continue d'effectuer ses quarts, de station en station et multiplie prélèvements et analyses.

Après un délicieux repas qui marque la fin de la semaine, un peu noyé entre deux mers..., nous naviguons dans un brouillard épais vers la station 27.

  

Certains en profitent pour courir et éliminer des calories à la salle de sport au pont E.

A la timonerie, Raphaël perce cette brume aux jumelles car la côte n'est pas si éloignée. Il explique comment maintenir le navire en station fixe, sans jamais mouiller l'encre, en utilisant le positionnement dynamique (sorte de pilotage automatique.) Très efficace mais aussi très gourmand en consommation; il faut parfois repasser en manuel. Il tient compte des courants et du vent et travaille en permanence à maintenir le bateau à la même position, ce qui est particulièrement important quand une rosette CTD est envoyé au fond. Il est parfois plus facile de réaliser cette tâche quand il y a un peu de vent, car on peut "s'appuyer" sur/contre cette force.

A nouveau dans les labos, Antonio et Yannis s'efforcent de réparer le SCAMP. Un des deux capteurs ne fonctionne plus. Avec un peu de patience, ils réussissent cette réparation.

Je me tourne à présent vers "le labo des Belges" où Martin et Fanny se relaient depuis le début de la campagne pour mesurer le méthane (CH4). C'est un des gaz à effet de serre très puissant dont le cycle n'est pas encore totalement élucidé (à contrario du CO2 par exemple).

Leur équipement, un réservoir équipé d'un capteur, ressemble à un grand aquarium qui est traversé par l'eau de mer qui y est filtrée, analysée, et évacuée. Le dispositif est relié à un ordinateur qui enregistre les données h24. Une des particularités de la mer de Barentz est qu'on y trouve beaucoup de talus peu profonds dont le sol est riche en méthane. Les hydrates de méthane sont déstabilisés par le réchauffement des eaux et dégagent leur gaz. L'appareil, en utilisant des capteurs hautes fréquences, permet d'obtenir un mapping horizontal de la concentration en méthane, qui sera complété par les profils verticaux réalisés par la CTD.

Des échantillons sont prélevés en fonction de la concentration de méthane observée. Fanny analysera ces prélèvements au retour, en labo, par chromatographie gazeuse.

Il s'agit d'une technique de séparation des molécules. Elle est utilisée pour repérer les substances qui composent un mélange gazeux ou susceptibles de le devenir sans décomposition par chauffage.

 

Demain midi, le commandant nous propose d'observer une minute de silence en hommage aux victimes de l'attentat de Nice, qui sera marquée par la corne de brume à 12h00, puis à 12h01.

20h31, nous sommes à la station 29.

 

Lundi 18 juillet 2016 - Entrechocs

8h30 station 34.

Le temps est pluvieux et une certaine houle nous balance; ça twiste un peu et le bateau est animé de toutes sortes de sons d'objets qui s'entrechoquent. Cette météo rend le travail de prélèvement un peu plus vivifiant. Les manoeuvres de mise à l'eau se doivent d'être un peu plus rapides. Les équipes sont maintenant bien rodées, et chacun est à sa place lors de la mise à bord de la rosette CTD.

Tony

Visesio

12h15 station 38.

Nous approchons de la 45ème et dernière station.

L'animation réalisée sur la station 22 montre le profil du courant.

Il y a 2 adcp (accoustic doppler current profiler) placés sur la CTD et un sous la coque du navire. Le mélange des résultats de l'un et l'autre permet d'obtenir une moyenne, réalisée toutes les heures pendant 13h au même endroit afin de connaître l'influence de la marée sur le courant.

Et à nouveau des scamps, des ctd, des multicores, des scamps, des ctd, des multicores, des scamps, des ctd, des multicores...

La fin de mission approche. Un tournoi de babyfoot se met en place. TVB RAS. 

Photo d'Olivier Crispi

 

Mardi 19 juillet 2016 - Découvertes partagées 

Station 46.

Nous avons enfin aperçu quelques baleines et dauphins en s'éloignant du fjord pour rejoindre la mer de Barentz.

 

Un dernier carottage de Kullenberg a fini en banane durant la matinée. Elle s'est tordue en impactant le sol. Elle sonne aussi le glas de la fin de la mission.

Bruno, l' oeil malicieux, me dit ressentir un lèger pincement au coeur à chaque fois qu'il doit démonter son labo.

 

Commencent ainsi les premiers rangements d'instruments et capteurs dans des malles puis dans le container.

C'est aussi la fin des quarts.

C'est l'occasion pour certains de lancer des lignes de pêche ou de gratouiller les instruments, trier et échanger des photos ou juste se reposer en cabine.

 

Au fil des discussions, nous établissons des parallèles entre art et science, ces longues phases de recherches, cette façon de soulever plus de questions que de trouver des réponses, et puis l'aspect humain, prédominant, qui veut que toutes les informations et découvertes soient partagées, tout comme les outils.

Nous terminons la journée par le traditionnel barbecue, sangria du chef, et bonne ambiance ! 

 

 

Mercredi 20 juillet 2016 - Retour 

Nous faisons cap vers Tromso sur une mer un peu agitée. 35 noeuds de vent et creux de 4m.

Nous sentons que la température commence à remonter lentement vers 10 degrés.

Nous nous croisons dans les couloirs avec des démarches bien chaloupées.

Arrivée prévue vers 15h. 

 

  

 

Jeudi 21 juillet 2016 - Retour au calme

Nous retrouvons le soleil et le calme du fjord vers Tromso.

La photo de groupe sur le pont avant, marque la fin de la mission STEP dont le bilan est très positif.

Un très grand merci à tous les membres de l'équipage de l'Atalante et aux scientifiques qui ont toujours répondu patiemment à mes questions et avec beaucoup de passion.

Bon vent à tous !